David Harvey nie l'impérialisme

Image removed.
par John Smith, traduit de l'anglais par Gabriel Stollsteiner 2 février 2018 — Links International Journal of Socialist Renewal reposté depuis le site Review of African Political Economy — David Harvey, auteur de l'ouvrage The New Imperialism[1] ainsi que d'autres livres reconnus sur le capitalisme et l'économie politique marxiste, croit non seulement l'âge de l'impérialisme révolu, mais aussi qu'il marche aujourd'hui à l'envers. Dans son Commentaire sur A Theory of Imperialism[2], de Prahbat et Utsa Patnaik, il déclare :
"Ceux d'entre nous, qui pensent que les anciennes catégories de l'impérialisme ne fonctionnent pas aussi bien de nos jours, ne nient pas du tout le flux complexe de valeur qui étend l'accumulation de richesse et de pouvoir dans une partie du monde au détriment d'une autre. Nous pensons simplement que les flux sont plus complexes et changent constamment de direction. Le siphonage historique de richesse de l'Est vers l'Ouest pendant deux siècles, par exemple, a été largement inversé au cours des trente dernières années (Souligné par moi, ici et ci-après - John Smith, p.169)."
Par "de l'Est vers l'Ouest", lisez "du Sud vers le Nord" ; c'est-à-dire les pays à bas salaire et ce que certains, cet auteur inclus, continuent à appeler les pays impérialistes. Pour répéter l'affirmation ahurissante de Harvey : durant l'ère néolibérale, c'est-à-dire les trente dernières années, non seulement l'Amérique du Nord, l'Europe et le Japon ont cessé leur pillage séculaire des richesses de l'Afrique, l'Asie et l'Amérique Latine, mais le flux s'est inversé : les "pays en développement" siphonnent à présent la richesse des centres impérialistes. Cette assertion, faite sans aucun élément probant ou estimation d'ordre de grandeur, répète des thèses similaires énoncées dans les précédents ouvrages de Harvey. Dans 17 Contradictions and the End of Capitalism, par exemple :
"Les disparités dans la distribution globale de richesse et de revenus entre pays a été bien réduite avec l'augmentation du revenu par tête dans de nombreuses parties du monde en développement. La ponction nette de richesse de l'Est à l'Ouest qui prédominait durant deux siècles s'est inversée à mesure que l'Asie orientale en particulier montait en puissance"(p.170).
La première phrase de cette citation exagère grandement la convergence mondiale : si l'on sort la Chine du tableau, et compte tenu de l'augmentation drastique des inégalités de revenus dans beaucoup de nations du Sud, aucun progrès réel n'a été accompli pour combler l'immense fossé dans les salaires réels et les standards de vie entre "l'Ouest" et le reste. La seconde phrase est réfutée par un examen cursif de la plus importante transformation de l'époque néolibérale - le transfert des processus de production vers les pays à bas salaire. Les firmes transnationales [ci-après FTN] basées en Europe, en Amérique du Nord et au Japon ont guidé cette évolution, en réduisant les coûts de production et augmentant les marges, en substituant à la main d'œuvre locale relativement bien payée, la main d'œuvre bon marché étrangère. Dans Outsourcing, Protectionism, and the Global Labor Arbitrage[3], Stephen Roach, alors un économiste confirmé à Morgan Stanley, responsable de ses activités en Asie, expliquait pourquoi :
"Dans une ère d'offre excessive, les entreprises manquent de marges de tarification comme jamais auparavant. Ainsi, les entreprises doivent être opiniâtres dans leur quête de meilleurs rendements. Sans surprise, ces efforts se concentrent principalement sur le travail, qui représente l'essentiel des coûts de production dans le monde développé... Les taux de rémunération en Chine et en Inde vont de 10% à 25% de ceux pratiqués aux Etats-Unis et le reste du monde développé, pour des travailleurs de qualité comparable. En conséquence, les délocalisations, qui extraient le produit de travailleurs à coût relativement bas dans le monde en développement, sont devenues une tactique de survie de plus en plus pressante pour les firmes des économies développées."
La délocalisation à grande échelle vers les pays à bas salaires, que ce soit par IDE ou par des relations indirectes de sous-traitance, rime avec une exploitation beaucoup plus étendue de la main d'œuvre du Sud par les FTN américaines, européennes et japonaises, des légions de travailleurs qui plus est sujets à un plus haut taux d'exploitation. Par moments, David Harvey semble admettre cette réalité. Dans sa critique des Patnaiks, par exemple, deux paragraphes avant son affirmation que l'Est ponctionne à présent la richesse de l'Ouest, il note que "Foxconn, qui fabrique les ordinateurs Apple dans des conditions de surexploitation d'une main d'œuvre immigrée au sud de la Chine, enregistre un profit de 3%, tandis qu'Apple, qui vend les ordinateurs dans les pays métropolitains, en enregistre 27%." Pourtant cet exemple, et l'image générale qu'il illustre si éloquemment, implique de nouveaux flux de valeur et de survaleur fortement augmentés aux FTN américaines, européennes et japonaises depuis les travailleurs à bas coût chinois, bangladais, mexicains et autres, et une raison de croire que cette transformation marque un nouveau stade dans le développement de l'impérialisme. David Harvey, au mépris de l'évidence, mais reflétant une vue répandue parmi les marxistes des pays impérialistes, estime que l'inverse est vrai. Dans The Enigma of Capital, Harvey ne fournit pas seulement la première occurrence de son opinion que "l'Est" ponctionne à présent "l'Ouest", mais également sa source : Harvey fait siennes "les estimations pythiques du US National Intelligence Council, publiées peu après l'élection d'Obama, sur ce à quoi ressemblerait le monde en 2025. Peut-être pour la première fois, un organe officiel américain a prédit que d'ici là les Etats-Unis... ne seraient plus l'acteur dominant... Avant tout, 'le transfert sans précédent dans la richesse et le pouvoir économique relatifs, globalement d'ouest en est, aujourd'hui en cours, va se poursuivre'" (pp.34-35). Harvey répète cela, mais avec sa touche personnelle : "Ce 'transfert sans précédent' a inversé la traditionnelle ponction de richesse depuis l'Asie de l'est, du sud-est et du sud vers l'Europe et l'Amérique du Nord, qui se produisait depuis le XVIIIe siècle" (p.35). Pourtant, ailleurs dans ce livre, Harvey reconnaît qu'"inondées d'excédents de capital, les firmes basées aux Etats-Unis ont en fait commencé à délocaliser la production au milieu des années 60, mais ce mouvement n'a réellement pris de l'ampleur qu'une décennie plus tard", et que le transfert de production, vers "n'importe où dans le monde - de préférence là où la main d'œuvre et les matières premières étaient bon marché", était dicté par la décision de capitalistes américains d'exporter leur capital (directement, par des IDE, ou indirectement, via les marchés de capitaux) plutôt que l'investir chez eux. Tout ceci implique un pouvoir métropolitain accru sur les économies destinataires de ces capitaux et une exploitation accrue de leur force de travail, pour lesquels le terme le plus approprié est celui d'impérialisme. Un indice aidant à expliquer pourquoi Harvey rationalise son déni de l'impérialisme peut être trouvé dans Le Nouvel Impérialisme : "les FTN capitalistes... se répandent sur la carte du monde d'une manière impensable aux phases plus précoces de l'impérialisme (les trusts et cartels décrits par Lénine et Hilferding étaient tous très étroitement liés à des Etats-nations déterminés)" (pp.176-177). En d'autres termes, c'est le "capital mondial" déraciné, déterritorialisé, dépersonnalisé, qui profite du transfert de production vers les pays à bas coût, et non les multinationales européennes et américaines avec leurs propriétaires capitalistes. Le Commentaire de David Harvey dans le nouvel ouvrage des Patnaik est également remarquable pour sa référence à la surexploitation, qui brille par son absence dans le reste de son œuvre sur l'impérialisme et la théorie de la valeur :
"Les zones tropicales et subtropicales ont une immense réserve de main d'œuvre vivant dans des conditions propices à la surexploitation. Au cours des 40 dernières années (et le fait est nouveau), le capital a cherché de plus en plus à mobiliser cette réserve de main d'œuvre, en quête de profits accrus par le développement industriel. S'il y a bien une carte qui confirme la spécificité de la zone tropicale, c'est celle qui montre la localisation des zones franches, dont 90% sont situées en zone tropicale. Et c'est la réserve de main d'œuvre qui est l'appât, et non la base agraire (bien que la prolétarisation partielle, qui arrive lorsque la reproduction sociale est assurée par le travail de la terre, tandis que le capital exploite simplement le travail au-dessous du salaire de subsistance, soit assurément importante) (p.165)."
Il ne définit pas la surexploitation, mais sa simple évocation est un début important. Cependant il débute... mais n'aboutit pas : "le capital" reste une abstraction désincarnée, déterritorialisée, et non les propriétaires millionnaires de firmes transnationales rassemblées dans les pays impérialistes, ce qui lui permet d'éviter la conclusion évidente : que ce développement nouveau et extrêmement important implique une poussée majeure dans les flux de valeur depuis les pays à bas salaire vers les centres impérialistes. L'obscurcissement, par Harvey, des divisions impérialistes persistantes, s'étend plus tard sur la même page que la citation précédente, à l'assertion que les conditions des marchés du travail dans les 'métropoles' et les pays à bas salaires sont en voie de convergence, et que les frontières les séparant sont en train de disparaître :
"La distinction entre la réserve [de main d'œuvre] dans les centres métropolitains et dans la périphérie a été bien réduite par la mondialisation à l'époque récente, si bien que l'on peut raisonnablement penser que la confrontation capital-travail est plus unifiée à travers les espaces de l'économie globale."
La négation de l'impérialisme par Harvey est tout sauf explicite. Sa crédibilité dans la science sociale progressiste, et en tant que théoricien marxiste, ne survivrait pas à un rejet catégorique de la pertinence contemporaine du concept d'impérialisme, ou au refus de reconnaître la persistance de ses formes les plus nues et familières. Au lieu de quoi, il obscurcit, sème la confusion, et prétend être agnostique sur cette question des questions. Dans sa critique de la théorie de Patnaik, par exemple, il parle du "problème impérialiste - s'il en est un", et donne pour exemple,
"le cas du coton, dont la chute des cours a été destructrice, particulièrement pour les producteurs d'Afrique de l'Ouest. Il ne s'agit pas ici de nier les transferts de richesse et de valeur qui se produisent à travers le commerce mondial et l'extractivisme, ou depuis les politiques géoéconomiques qui désavantagent les producteurs primaires. Bien plutôt, il s'agit de souligner que nous ne saurions enclore toutes ces caractéristiques sous la rubrique simple et trompeuse d'un impérialisme qui dépend d'une forme anachronique et spécieuse de déterminisme géographique physique." (p.161).
La dernière partie de ceci se réfère à la théorie distincte développée par Prahbat et Utsa Patnaik dans A Theory of Imperialism ; la question de savoir si la caractérisation qu'en fait Harvey est juste dépasse l'objet de cet article, il est cependant tout à fait clair que la cible de Harvey n'est pas une forme spécieuse de la théorie de l'impérialisme, mais la théorie de l'impérialisme tout court[4], et tous ceux qui se réclament de l'anti-impérialisme. Pour conclure : l'affirmation de Harvey selon laquelle "l'Est" exploite désormais "l'Ouest", affirmation appuyée par sa seule autorité, est fausse. Il ne pourrait avoir plus tort, et sur un enjeu plus important. La racine de son erreur est son déni que le transfert global de production vers les pays à bas salaire représente une aggravation majeure de l'exploitation impérialiste. Dans un extrait de mon livre ci-dessous, Imperialism in the Twenty-First Century[5], je retrace l'échec de Harvey à reconnaître ou analyser cet aspect caractéristique de la mondialisation néolibérale à travers plusieurs de ses ouvrages, aussi loin que son célèbre Limits to Capital.

Extrait sur David Harvey du livre de John Smith, l'Impérialisme au XXIe siècle (pp. 199-202)

Personnalité en vue parmi les théoriciens marxistes contemporains, David Harvey a publié une série de livres à fort retentissement sur la théorie de la valeur de Marx, sur le néolibéralisme, et sur le nouvel impérialisme. En raison de la large audience qu'il a emportée à ses vues, il est nécessaire de les soumettre à un strict examen, une tâche qui ne peut être ici qu'ébauchée. L'argument central dans la théorie de Harvey du nouvel impérialisme est que la suraccumulation de capital pousse les capitalistes et le capitalisme à recourir toujours davantage aux formes non-capitalistes de pillage, c'est-à-dire aux formes autres que l'extraction de plus-value à partir du travail salarié, qui vont de la confiscation de la propriété commune à la privatisation de l'Etat-providence, qui provient des empiètement du capital sur les communs, qu'ils s'agisse de la propriété publique ou de la nature sauvage. Il soutient que le nouvel impérialisme est caractérisé par "un déplacement de la prédominance de l'accumulation par la reproduction élargie vers l'accumulation par la dépossession", laquelle est à présent "la principale contradiction à confronter" (The New Imperialism, Oxford: Oxford University Press, 2003, pp. 176–77). Harvey a raison d'attirer l'attention sur l'importance continue et même accrue des formes anciennes et nouvelles d'accumulation par dépossession, mais il n'admet pas que le principal déplacement de prédominance de l'impérialisme est dans une toute autre direction - vers la transformation de son propre processus central d'extraction de plus-value à travers la mondialisation de la production guidée par l'arbitrage de la main d'œuvre mondiale, un phénomène entièrement interne à la relation capital-travail. L'ouvrage de Harvey Limits to Capital (London: Verso, 2006; première publication en 1982) avait un titre délibérément ambigu. Ce livre tente de découvrir les limites à l'avancée inexorable du capital, et également d'identifier les limites du Capital, de la théorie de Marx du développement capitaliste. Limits to Capital a beaucoup moins à dire sur l'impérialisme que le Capital lui-même. De fait, l'impérialisme n'est mentionné qu'en passant (p.441-2): "Beaucoup de ce qui passe pour l'impérialisme repose en réalité sur l'exploitation des peuples d'une région par ceux d'une autre... Les processus décrits permettent à la production géographique de plus-value de diverger de sa distribution géographique." Au lieu de développer cet aperçu perspicace, il n'en est plus fait mention. Harvey revient sur le sujet du transfert géographique de production vers les pays à bas salaires dans The Condition of Postmodernity (Oxford: Blackwell, 1990, p. 165), où cela n'est pas vu comme une aggravation de l'exploitation impérialiste, tel que sous-entendu par sa remarque furtive dans Limits of Capital, mais comme un signe de son déclin accéléré :
"A partir du milieu des années 1970... les nouveaux pays industrialisés... commencèrent à faire de sérieuses incursions dans les marchés de certains produits (textiles, électronique, etc.) dans les pays capitalistes avancés, rapidement rejoints par une nuée d'autres NPI [Nouveaux pays industrialisés, tels que] la Hongrie, l'Egypte, et les pays qui avaient plus tôt poursuivi des stratégies de substitution (Brésil, Mexique)... Certains ajustements de pouvoir depuis 1972 au sein de l'économie politique mondiale du capitalisme avancé ont été véritablement remarquables. La dépendance des Etats-Unis sur le commerce extérieur... doubla dans la période 1973-1980. Les importations en provenance des pays en développement ont presque décuplé."
Cela montre la réalité à l'envers: loin de signifier un déplacement de pouvoir vers les pays à bas salaire, la croissance du commerce extérieur reflète l'énorme extension du pouvoir des FTN impérialistes sur ces pays - et la dépendance croissante des ces firmes sur la plus-value extraite de leurs travailleurs. Cette conclusion est suggérée par la reconnaissance par Harvey, dans le même ouvrage (p.153), de "la capacité accrue du capital multinational à amener la production de masse fordiste à l'étranger, et d'y exploiter l'extrême vulnérabilité de la force de travail des femmes, dans des conditions de salaires extrêmement bas et de sécurité de l'emploi inexistante." Plus encore, le transfert mondial des processus de production vers les nations à bas salaires fut guidée par les FTN afin de renforcer leur compétitivité et leur profitabilité, avec un succès considérable, ce qui n'empêche pas Harvey de présenter ceci comme la preuve d'un déclin dans la compétitivité impérialiste. Selon Harvey, le capital central s'efforce de résoudre ses crises de suraccumulations par un remède spatial, impliquant la production de (p.183) "nouveaux espaces dans lesquels la production capitaliste peut se poursuivre (à travers les investissements d'infrastructure, par exemple), la croissance du commerce et des investissements directs, et l'exploration de nouvelles possibilités pour l'exploitation de la force de travail." Voilà ce que Marx appelait un concept chaotique. Au lieu du flou délibéré de l'exploration de nouvelles possibilités pour l'exploitation de la force de travail, pourquoi ne pas parler de quelque chose de beaucoup plus direct, tel que l'exploitation intensifiée du travail à bas salaire? En fin de compte, les tentatives de Harvey d'ajouter une dimension spatiale à la théorie marxiste du capitalisme tombe à plat, car il néglige de discuter les implications spatiales des contrôles migratoires, de l'écart grandissant dans les niveaux de salaires entre nations impérialistes et nations semi-coloniales, de l'arbitrage mondial des salaires. Dans Le Nouvel Impérialisme, publié en 2003, Harvey consacre deux pages à la mondialisation des processus de production. Il commence par insérer ce développement dans sa thèse de base sur la suraccumulation du capital (pp. 63-4) : "Les forces de travail à bas salaire facilement exploitables, couplées avec la facilité accrue de mobilité géographique de la production, a ouvert de nouvelles opportunités pour l'utilisation profitable de l'excédent de capital. Mais très vite, cela a exacerbé le problème de la production d'excédent de capital à travers le monde." Séparant formellement capitalistes industriels et capitalistes financiers, il attribue l'élément moteur de la vague de délocalisations au pouvoir déchaîné des capitalistes financiers affirmant leur domination sur le capital manufacturier, au grand détriment des intérêts nationaux américains (pp. 64-65) :
"Une batterie de changements technologiques et organisationnels... ont promu le genre de mobilité géographique du capital manufacturier sur laquelle le capital financier, de plus en plus hyper-mobile, pouvait s'alimenter. Tandis que le déplacement vers le pouvoir financier apportait de grands bénéfices directs aux Etats-Unis, les effets sur sa propre structure industrielle étaient rien moins que traumatiques, pour ne pas dire catastrophiques... Vague après vague de désindustrialisation, industries après industries étaient frappées, régions après régions.... Les E-U étaient complices dans la sape de leur domination manufacturière, en déchaînant les pouvoirs de la finance à travers le globe. Toutefois, le bénéfice était des biens de plus en plus bon marché venus d'ailleurs pour alimenter le consumérisme sans fin auquel les E-U étaient engagés."
En laissant de côté sa perspective nationaliste et protectionniste, et son échec à percevoir que les produits bon marchés venus d'ailleurs étaient rendus possibles par le travail bon marché ailleurs, c'est-à-dire la surexploitation, l'argument de Harvey contient une lacune fatale. Les délocalisations n'étaient pas tant guidées par le réveil de la finance que par la stagnation et le déclin dans le taux de profit manufacturier et par les efforts des capitaines d'industries pour contrer cela. L'augmentation des importations de produits manufacturés à bas coût firent bien plus qu'alimenter le consumérisme, elle soutint directement la profitabilité et la position compétitive des géants industriels d'Amérique du Nord, et fut activement promue par ces derniers. Loin de mettre fin à la domination américaine - en d'autres termes, à la capacité des firmes à capturer la part du lion dans la plus-value - la délocalisation a ouvert de nouvelles voies aux capitalistes américains, européens et japonais pour asseoir leur dominance sur la production manufacturière mondiale. L'erreur fondamentale de Harvey n'explique qu'en partie l'effroyable réformisme de sa conclusion au Nouvel Impérialisme, dans laquelle il aspirait (pp. 209-211) à "un retour à un impérialisme New Deal plus bienveillant, atteint de préférence via le genre de coalition de puissances capitalistes que Kautsky envisageait autrefois... [Ceci] est sûrement assez pour se battre, dans la présente conjoncture," oubliant ce qu'il avait écrit deux décennies auparavant dans sa conclusion à Limits to Capital (p. 444) : "Le monde a été sauvé des terreurs de la Grande Dépression non pas par quelque glorieux nouvel accord [new deal] ou le toucher magique de l'économie keynésienne dans les trésors mondiaux, mais par la destruction et la mort de la guerre mondiale." [1] Le Nouvel Impérialisme, Les prairies ordinaires, 2010. [2] Ouvrage non encore traduit en français. [3] 2003. Consultable au lien suivant (en anglais) URL [4] En français dans le texte. [5] L'impérialisme au XXIe siècle, John Smith, 2016, Monthly Review Press. Non traduit en français. [6] David Harvey, 1982, non traduit.