Etats-Unis. L’ascension du trumpisme
[Original in English here]
Par Barry Sheppard
13 janvier 2017 - traduction A l’Encontre - Une des caractéristiques de la récente campagne électorale présidentielle aura été les profondes divisions au sein des deux partis, démocrate et républicain. Cela s’ajoutait à l’impasse au Congrès, le pat, entre les deux partis du capitalisme. En plus de cela, le pays est très polarisé à propos de la race, de l’économie et de beaucoup d’autres questions.
Il faut remarquer également qu’il n’existe pas de parti de masse de la classe des travailleurs qui aurait pu se faire le champion d’une alternative.
Donald Trump est apparu – puis a été élu – comme l’homme fort qui va reprendre les choses en main et remettre les choses à leur place. Bien que la manière dont il va le faire exactement soit restée ouverte sur plusieurs sujets.
L’arrière-fond de ce désarroi dans la politique de la classe dominante, c’est la Grande récession de 2007-2008 avec les sauvetages par le budget fédéral des institutions financières et de l’industrie automobile, alors que la masse des travailleurs étaient frappés par le chômage élevé, les saisies de leurs maisons, les coupes dans leurs salaires, etc. Dans le lent rétablissement économique durant les huit années suivantes, les profits sont montés mais pas le niveau de vie de la classe ouvrière. Quatre-vingt-quinze pour cent des foyers n’ont pas vu leurs revenus remonter au niveau de 2007. L’inégalité dans la distribution de la richesse et des revenus s’est accrue.
Ces huit années correspondent aux années de l’administration Obama. Durant ces huit années, cette administration Obama a fait peu de chose pour contrer cette réalité. En fait, quand les républicains ont récupéré le contrôle de la Chambre des représentants en 2010, pour virer durement à droite, les démocrates ont été tirés à droite dans leur sillage, juste pas autant à droite. Et ils ont donné leur accord à de grandes coupes budgétaires dans les programmes sociaux.
Les officialités démocrate et républicaine ont eu peu d’attention au désespoir et à la colère croissante dans toute la classe ouvrière, Noirs, Blancs, Latinos, Asiatiques, et autres. Nombreux parmi ladite classe moyenne ont craint d’être poussés vers le bas dans la classe ouvrière, ou y sont déjà tombés. Les deux candidats qui ont fait campagne contre l’establishment, Bernie Sanders chez les démocrates, et Donald Trump chez les républicains, se sont branchés sur cette colère.
En fait, le démagogue Trump a avancé peu de véritables propositions afin de rétablir les emplois bien payés. Il a accusé d’autres pays, particulièrement le Mexique et la Chine, pays à très bas salaires dans lesquels les entreprises états-uniennes sous-traitent les éléments de leur production à forte intensité de main-d’œuvre. Trump s’est juré d’employer les tarifs douaniers pour s’y opposer. Il a combiné cette position nationaliste avec la stigmatisation raciste – utilisant la rhétorique du bouc émissaire – des Noirs, des Latinos et des immigré·e·s, en les rendant coupables de la perte d’emplois des ouvriers blancs.
La campagne et les débats pour les élections primaires du Parti républicain ont vu Donald Trump enfoncer ses opposants de l’officialité républicaine en faisant usage de dénigrements et d’insultes sans précédent. Son argument principal, qu’il a répété et répété sans cesse, était qu’un homme fort devait se charger du gouvernement et tout changer. Et qu’il était, lui, cet homme fort, par opposition aux «perdants» qu’étaient ses rivaux. Qu’il était le candidat de la «loi» et de l’«ordre» et que s’il était élu, il emploierait son pouvoir pour refaire à neuf le gouvernement.
Ce faisant, Trump s’est emparé du Parti républicain qui lui est désormais tout dévoué. La plupart des républicains au Congrès, mis à part quelques vieilles gloires officielles qui bêlent dans les marges, sont tellement à droite que Trump leur va comme un gant. Qui plus est, quelles que soient les divergences qu’ils puissent avoir avec lui, elles sont surpassées par la conscience qu’ils ont qu’ils s’élèveront ou tomberont avec lui.
Chez les démocrates, les primaires se sont vite réduites à deux candidats, Hillary Clinton et Bernie Sanders. Hillary Clinton était le choix de l’officialité du parti et c’est comme telle qu’elle a fait campagne. Sanders, lui, a fait campagne comme l’opposant aux 1% des super-riches et il a proposé des mesures pour atténuer le sort des travailleuses et des travailleurs, en se nommant lui-même un socialiste démocrate. Ses propositions comprenaient une hausse du salaire minimum à 15 dollars l’heure, le remplacement de l’Obamacare, basée sur les compagnies d’assurances, par une assurance maladie nationale pour tous, et la gratuité de l’accès aux collèges et universités publiques des Etats, et d’autres propositions encore.
A la surprise de l’officialité démocrate, sa campagne a pris chez les travailleurs et les travailleuses, et chez les jeunes en particulier, y compris chez les jeunes noirs. Pour la plupart des personnes de moins de 25 ans, leur formation politique a eu lieu durant les années qui ont suivi la Grande récession de 2007-2008. Bernie Sanders a tenu de grands et enthousiastes meetings de masse à la différence des modestes manifestations de la campagne de Hillary Clinton. L’establishment a fait bloc autour d’Hillary Clinton pour discréditer Bernie Sanders comme l’ont révélé les documents publiés par WikiLeaks. Hillary Clinton a aussi été aidée par la base traditionnelle des démocrates chez les Noir·e·s plus âgé·e·s. Bernie Sanders a perdu, puis a fait campagne pour la Clinton. Le talon d’Achille de la campagne Sanders – et par la suite – c’est qu’il soutenait le Parti démocrate, cherchant à le réformer et non à construire un nouveau parti, social-démocrate, opposé à cette citadelle de la classe dominante capitaliste qu’est le Parti démocrate.
Durant la campagne qui a suivi les conventions des deux partis, aussi bien Hillary Clinton que Donald Trump recevaient des évaluations majoritairement négatives dans les sondages parmi la population. Donald Trump a fait campagne comme le candidat opposé à l’establishment contre la Clinton de l’establishment. Finalement, bien que Hillary Clinton ait remporté le vote populaire [par environ 2,5 millions de votes], c’est Trump qui a obtenu la majorité du Collège électoral pour émerger après sa victoire comme l’homme fort qui allait transformer le gouvernement à son image.
La base électorale de Trump se situa parmi les éléments ouvertement racistes des classes moyenne et ouvrière blanches. Ce sont elles et eux qui se sont rassemblé·e·s derrière: ses attaques racistes contre les Mexicains et les immigrés latinos; sa menace de «résoudre» le problème du mouvement Black Lives Matter et des communautés noires en général par encore plus d’occupation et de répression policières; ses propositions d’interdire aux musulman·e·s d’entrer dans le pays et d’instituer une liste de surveillance de ces derniers vivant dans le pays, y compris les citoyens et citoyennes; et ses allusions antisémites.
Ses attaques contre les femmes pour leur apparence, puis sa justification pour s’être vanté de ses voies de fait sexuelles, ont elles aussi été applaudies.
Toutes les attaques de cette sorte lors de ses meetings, qui devenaient de plus en plus massifs, ont été célébrées par de bruyants applaudissements et des slogans scandés en chœur, comme l’ont été ses incitations à la violence contre tout protestataire présent. Ses attaques contre Hillary Clinton étaient applaudies aux cris de «Mettez-la en prison! Mettez-la en prison!».
Il est important de faire remarquer que les racistes déclarés sont une minorité parmi les Blancs de toutes les classes sociales, mais une minorité significative; mais c’est une majorité parmi les Blancs de l’ancienne Confédération des Etats esclavagistes du Sud. Cela est enraciné dans toute l’histoire des Etats-Unis depuis l’époque de l’esclavage jusqu’à l’actuel racisme structurel et institutionnalisé sur lequel Black Lives Matter a braqué un projecteur.
Depuis les années 1970, les républicains ont été vus dans l’ensemble comme le parti des Blancs.
Pas tous, ni même la plupart de celles et ceux qui ont voté pour Trump ne sont des racistes déclarés. Beaucoup espèrent naïvement que Trump va forcer le système à ramener des bons emplois. Mais elles et ils ont été prêts à mettre de côté le racisme déclaré de Trump, sa misogynie, et ses intimidations brutales, pour voter pour lui. Comme Blancs et Blanches, elles et ils craignaient aussi, même si inconsciemment, d’être rabaissés jusqu’au niveau des peuples de couleur.
Trump peut compter non seulement sur le contrôle par les républicains des deux chambres du Congrès, mais aussi des deux tiers des parlements des Etats. Ceux-ci appliquent déjà certaines de ses propositions, et se consacrent à attaquer les syndicats, les droits de vote, les droits des femmes, etc. Ils ne seront qu’enhardis encore plus par l’élection de Trump.
Trump hérite également beaucoup d’aspects de l’Etat fort des administrations passées, tant démocrates que républicaines. L’espionnage électronique tentaculaire par la NSA (National Security Agency) de tous les Américains et d’une grande partie du monde est désormais dans ses mains, comme le sont la CIA, le FBI et toutes les agences semblables comme la NCIS (le Service d’investigation criminelle de la marine – Naval Criminal Investigative Service), rendu célèbre par la série TV du même nom. Depuis plus d’un demi-siècle, la guerre a été la prérogative des présidents. Il va être le commandant en chef de la plus formidable machine militaire que le monde ait jamais vu.
A quoi va ressembler un régime Trump?
Ses choix pour son cabinet et d’autres postes en donnent un aperçu. Mais ce qui est également important est la façon dont ces choix ont été faits. Depuis sa cour dans la Trump Tower, en ville de New York, il a pendant toutes ces semaines reçu un grand nombre de personnes pour des entretiens privés, ostensiblement pour examiner un large éventail de candidats et d’opinions. C’est devenu un cirque médiatique quotidien de spéculation sur ses intentions. Il a même reçu des personnages de l’establishment républicain comme Mitt Romney qui avait refusé de faire campagne pour lui. Même s’il a qualifié le changement climatique de canular chinois, il a reçu le démocrate Al Gore, qui s’est positionné depuis des années en porte-parole de la nécessité de stopper le réchauffement climatique.
Nombreux sont celles et ceux dans les médias commerciaux qui sont tombés dans le piège de tout cela pour penser que Trump était peut-être en train de changer. Mais la réalité, c’est que tous ceux qui sont venus parler avec Trump se courbaient devant lui comme des suppliants aux pieds d’un roi ou d’un pape, capitulant devant lui de manière abjecte. Le résultat fut de le réhausser encore plus comme l’autocrate aux commandes, comme celui qui ferait et briserait ces suppliants. Nous devons garder à l’esprit que cette parade faisait apparaître les choisis comme ayant été gratifiés par son bon plaisir et entièrement dévoués à lui.
Cela dit, il est révélateur de considérer les personnes qu’il a choisies. Beaucoup ont remarqué que le cabinet gouvernemental qu’il a réuni est largement composé de milliardaires et de multimillionnaires, qui ensemble totalisent plus de 9,5 milliards de dollars de fortune. Des postes clés vont être occupés par des généraux, des banquiers, des seigneurs des combustibles fossiles, des autoritaires et des racistes.
Un choix avait été fait avant l’élection, celui du nouveau vice-président, Mike Pence. Il vient des ultra-évangéliques chrétiens blancs qui pour la première fois ont donc un des leurs à la Maison Blanche, même s’il retournera coucher chaque soir dans une autre résidence. Comme membre du Congrès, il s’est opposé au financement fédéral des traitements anti-VIH si le gouvernement ne finançait pas également des programmes contre l’homosexualité. Il s’est opposé à l’autorisation accordée aux gays d’entrer dans les forces armées. Il déclare «Je me réjouis pour le jour quand Roe vs.Wade (le jugement de la Cour suprême qui a légalisé l’avortement) sera jeté aux poubelles de l’histoire.» Comme gouverneur de l’Indiana, il a signé une des lois anti-avortement les plus restrictives aux Etats-Unis. Il est également contre les immigré·e·s, soutient les écoles chrétiennes contre les écoles publiques, nie le changement climatique, et tout à l’avenant.
Voici quelques courtes descriptions à propos des autres choix de Trump, et on pourrait en dire encore beaucoup plus.
• Le procureur général choisi par Trump, Jeff Sessions, un raciste de l’Alabama, sera chargé de mettre en œuvre «la loi et l’ordre» de Trump à l’intérieur du pays. Comme Trump, il soutient la police contre le mouvement Black Lives Matter, appuie la Guerre contre les drogues et l’incarcération de masse, et il sera dur avec les immigrés. Il pourrait employer sa fonction pour sévir contre les dissidents.
• Jeff Sessions sera assisté par le général à la retraite John Kelly pour diriger la Homeland Security [département de la Sécurité intérieure créé en 2002 à l’initiative de George W. Bush]. Il aidera Trump à réaliser des déportations massives et, comme Trump, il accuse les immigré·e·s d’introduire aux Etats-Unis des drogues et des terroristes.
• Steve Bannon sera le principal conseiller de Trump. Il est connu comme l’ancien propriétaire de Breitbart News dont lui-même a déclaré que c’était la voix de l’extrême droite «alt-right», un euphémisme pour désigner les suprématistes blancs. Mais ce qui est moins connu, c’est son plaidoyer pour une présidence autoritaire.
• Le conseiller pour la sécurité nationale sera le lieutenant-général à la retraite Michael Flynn. Il attaque l’islam en tant que religion, déclare que «craindre les musulmans» est «rationnel», affirme que l’Iran est la plus grande menace pour les Etats-Unis, et que la charia ne cesse de progresser aux Etats-Unis, etc.
• Le secrétaire à la Défense de Trump est prévu d’être le général à la retraite, dit «Chien fou», James Mattis, qui fut commandant central lors des guerres des Etats-Unis contre l’Afghanistan et l’Irak qui ont détruit les deux pays. Il a fameusement «plaisanté» que c’était «amusant» (fun) de tuer des Afghans qui résistaient à l’invasion par les Etats-Unis.
• Pour diriger les départements du Trésor et du Commerce, Trump a choisi Steven Mnuchin et Wilbur Ross, deux milliardaires à la tête de fonds spéculatifs (hedge funds) qui ont immensément profité des saisies d’hypothèques durant la Grande récession.
• Comme secrétaire d’Etat, Trump propose le PDG d’Exxon, Rex Tillerson, un négateur du changement climatique (pour user d’un euphémisme) dont le savoir-faire international est limité aux vastes propriétés d’Exxon à travers le monde, qu’il profitera de favoriser grâce à sa nouvelle fonction.Il y a une série de nominations pour diriger des agences que ces personnages cherchent à affaiblir ou détruire. Elles comprennent:
• Ryan Zinke comme secrétaire à l’Intérieur, responsable de gérer les terres et les eaux fédérales à travers le pays. C’est un ancien commandant des plongeurs de combat de la marine et, comme congressiste du Montana, il a proposé d’évider les protections légales et réglementaires ayant trait aux terres et eaux publiques.
• Rick Perry, comme secrétaire à l’Energie. Il a proposé d’abolir ce département ainsi que l’Agence de protection de l’environnement (EPA). C’est un ancien gouverneur du Texas étroitement lié aux géants des combustibles fossiles. Et un négateur du changement climatique.
• Comme secrétaire au Travail, Andrew Puzder, qui est à la tête d’une grande chaîne de fast-food. Il est opposé aux syndicats, contre un salaire minimum et contre les régulations de l’industrie. Il est connu pour ses attaques contre le Département du travail dont il va prendre la direction, département qu’il a toujours accusé d’être favorable aux travailleurs.
• Scott Pruit pour l’Agence de protection de l’environnement/EPA, un proche allié des moghols des combustibles fossiles. Il rejette la science officielle du changement climatique et a construit sa carrière en combattant les régulations de protection de l’environnement. Trump déclare que l’EPA a «trop longtemps dépensé les dollars du contribuable pour un programme anti-énergie hors de tout contrôle qui a détruit des millions d’emplois» et que Scott Pruit «va inverser cette tendance».
• Ben Carson pour le Département du logement. Ce millionnaire est un neurochirurgien qui ne connaît rien au logement. Il est opposé aux programmes pour aider les propriétaires de leur logement, tout particulièrement ceux à bas revenus. En général, il pense que les problèmes de celles et ceux qui ont des bas revenus sont de leur propre faute.
• Betsy DeVos comme secrétaire à l’Education. Elle est opposée aux écoles publiques et soutient les programmes de privatisation, soutient les écoles chrétiennes et a impulsé ce programme au Michigan. Elle vient aussi d’une famille de milliardaires et son frère Erik Prince fut un des fondateurs de l’armée de mercenaires Blackwater USA bien connue et engagée par l’armée états-unienne pour faire le sale boulot et les assassinats en Irak.
• Tom Rice, membre de la Chambre des représentants pour la Georgie, pour diriger le Département de la santé et des services à la personne. Il a mené une croisade contre l’Obamacare en déclarant que c’était de la médecine socialisée. Il va aider à la renverser pour la remplacer par quelque chose d’encore pire.Voilà quelques-unes des personnes dont Trump s’est entouré. Ce qu’il va mettre en avant, ce sont les positions de celles-ci. Jusqu’où il pourra aller avec ce programme dépendra de quelle opposition il va susciter. Ce que Trump va faire certainement D’abord, il sera le candidat de la «loi et l’ordre». Il accroîtra les pouvoirs de la police pour maintenir un couvercle sur les communautés noires et latinos. Il n’y aura plus de supervision fédérale (déjà bien faible) de la violence policière dans ces communautés. Il n’y aura pas de marche en arrière dans la Guerre contre les drogues, ou les incarcérations de masse, mais bien un accroissement. Les actions des entreprises privées de prisons ont bondi à la Bourse suite à l’élection de Trump. Il y aura encore plus de militarisation de la police. Il va accroître le contrôle, déjà imposant, de la frontière avec le Mexique, mais pas celle avec le Canada. Les déportations massives réalisées par le déportateur en chef Obama vont être accrues fortement. Les dépenses militaires vont augmenter significativement. L’arsenal états-unien d’armes nucléaires, déjà en train d’être «modernisé» par Obama au prix d’environ mille milliards de dollars, va augmenter. Sous une forme ou une autre, il va empêcher la plupart des musulman·e·s d’immigrer aux Etats-Unis, y compris les millions de réfugié·e·s désespéré·e·s des guerres de Washington contre les pays arabes. De grandes baisses d’impôts pour les riches sont certaines. Les réglementations touchant les sociétés financières seront allégées. Celles touchant les grandes compagnies du pétrole, charbon, et du gaz naturel, y compris le fracking (fracturation hydraulique) seront abolies ou vidées de leurs effets (c’est là le réel contenu du déni par Trump du changement climatique), de même que les réglementations d’autres industries, y compris les banques et autres intérêts financiers. Se réjouissant d’avance, la Bourse s’est envolée après l’élection de Trump. Trump et le Congrès républicain vont légiférer pour abroger l’Obamacare, mais ce qu’ils vont mettre à la place est incertain. Tant Trump lui-même que les politiciens républicains craignent un contrecoup si trop de gens perdent quelque chose de leur assurance maladie ou voient monter rapidement les coûts de leur santé. Trump va désigner un candidat pour occuper le siège vacant à la Cour suprême qui donnera sa voix pour abroger la sentence Roe versus Wade, qui avait légalisé l’avortement. Ce nouveau juge servira également à soutenir Trump s’il rencontre des problèmes légaux, ce qui est probable. Les Etats seront encouragés à édicter plus de restrictions au droit à l’avortement. Ce qu’il va probablement faire En plus d’augmenter les dépenses militaires, Trump projette des grands travaux d’infrastructure. Cette perspective a également été un facteur de la hausse à la Bourse. Mais il offre des propositions contradictoires pour le financement possible de ces grands travaux et le Congrès républicain a toujours été réticent à voter des dépenses pour ce genre de projets. L’Agence pour la protection de l’environnement, en plus de soutenir les propositions de Trump pour la Big Energie évoquées plus haut, va couper dans d’autres réglementations pour l’environnement et rendre probablement l’agence elle-même sans pertinence. Les protections de l’environnement au travail protégeant les travailleurs vont probablement souffrir également. Trump va probablement augmenter les droits de douane frappant les importations, en ciblant tout particulièrement la Chine. Les affaires avec la Russie vont probablement s’améliorer. Mais Trump va suivre un programme général protectionniste et nationaliste en économie. Tout au long de sa campagne, Trump a attaqué constamment les grands médias commerciaux, les qualifiant de «déchets crasseux» (scum), voire pire. Il va continuer de faire cela, car il essaie de cette manière de les domestiquer, un effort qui va porter des fruits, et qui a déjà eu un certain succès. Il tiendra peu de conférences de presse et continuera d’employer des tweets et d’autres méthodes pour passer par-dessus la tête des journalistes. Il veut modifier les lois sur la diffamation et la calomnie pour rendre plus facile de poursuivre en justice les personnes et la presse qui «calomnient» les figures publiques comme lui-même, une chose qui est difficile à faire dans l’état actuel de la législation. Il va attaquer les droits démocratiques en général, ce qui est déjà en chantier dans les Etats gouvernés par les républicains. Comment cela peut marcher reste à voir, mais nous pouvons nous attendre à plus de restrictions du droit de réunion et de manifestation, et à plus de violences policières à ces occasions. Concernant la politique étrangère, beaucoup reste à voir. Celui désigné pour être secrétaire d’Etat, Rex Tillerson, est un ami du très conservateur et très autoritaire président russe, Vladimir Poutine. La promesse de campagne de Trump de dévaluer et déclasser (downgrade) l’OTAN peut être oubliée, ou peut-être que non. Les promesses de Trump de mener une guerre commerciale contre la Chine ont reçu une impulsion quand il a nommé Peter Navarro comme son gourou du commerce à la Maison Blanche. Navaro est connu pour ses vues extrêmes contre le commerce avec la Chine, qui impliquent de «déchirer le livre des règles» à propos de la «relation économique bilatérale la plus importante du monde» selon le Financial Times. Cela peut déboucher sur une fissure plus profonde entre la Chine et les Etats-Unis dans tous les domaines. Nous savons que la désignation de David Friedman comme ambassadeur en Israël arrache la feuille de vigne de Washington de la «solution des deux Etats». Friedman a des liens étroits avec les colons israéliens en Cisjordanie, il est opposé à tout Etat palestinien, même un Etat dénué de forces armées dont les frontières et la politique étrangère sont contrôlées par Israël – soit la proposition d’un «Etat» palestinien que fait Washington. Friedman est pour l’annexion de la Cisjordanie. Trump déclare qu’il va déplacer l’ambassade des Etats-Unis en Israël de Tel-Aviv à Jérusalem, ratifiant ainsi la prétention d’Israël à la totalité de la ville. Rien d’étonnant donc à ce que Netanyahou se réjouisse de «travailler avec» Trump et qu’il ait poursuivi à toute vapeur l’implantation de nouvelles colonies. Quelle sera la nature du nouveau régime Trump? Certains dans la gauche libérale, et quelques socialistes aussi, ont souligné le racisme de Trump, sa misogynie, son autoritarisme, ses prétentions démagogiques à soutenir les travailleurs, ses positions anti-démocratiques, pour prétendre qu’il est un fasciste. C’est tout à fait faux. Le fascisme est un mouvement de masse, organisé, et même armé, prêt à combattre le mouvement ouvrier (partis et syndicats) dans les rues avant de prendre le pouvoir et de l’écraser par une violence massive après avoir pris le pouvoir, et à instituer un Etat totalitaire pour faire cela. La classe dominante capitaliste ne recourt pas à cette solution extrême tant que sa domination n’a pas été menacée par les travailleurs. Il n’existe pas une telle menace aux Etats-Unis aujourd’hui, pour le moins. Le fascisme est une affaire sérieuse et employer ce terme sans réfléchir implique de le prendre à la légère. Trotsky, quand il mettait en garde le mouvement ouvrier allemand contre le danger du fascisme montant, disait que le fascisme allemand, basé sur une économie plus développée, ferait apparaître le fascisme italien comme un pique-nique sur l’herbe. Un fascisme aux Etats-Unis ferait apparaître en comparaison l’hitlérisme comme une version un cran en dessous. C’est vrai que des groupes nationalistes blancs, qui ont une mentalité fasciste, ont rejoint la campagne de Trump. Ils se vantent ouvertement qu’il a rendu leur message plus acceptable (mainstream) et qu’ils ont pu croître grâce à cela. Mais ils sont toujours encore petits, fragmentés. Et ils sont incapables de s’unir derrière un leader. La nomination de Bannon est significative surtout parce qu’il va être le principal conseiller de Trump, mais c’est aussi un os à ronger lancé à l’extrême droite «alt-right». Mais alors comment caractériser le phénomène Trump? A cet égard, il est utile de rappeler l’analyse qu’avait faite Marx du régime de Louis Bonaparte, élu président de la République en décembre 1848 à la surprise générale, et qui prit le pouvoir en 1851 en France par un coup d’Etat militaire en un acte qui tira le rideau sur la Révolution de 1848 et établit un gouvernement autoritaire de «l’Empereur Napoléon III» qui dura vingt ans. Marx citait Victor Hugo qui appelait Louis Bonaparte Napoléon le Petit. Effectivement, en comparaison avec son oncle fameux, Louis était une médiocrité, comme Trump. Marx l’appelait une «insipide nullité». Mais alors comment Louis Bonaparte prit-il le pouvoir? Ce fut dans le contexte de l’incapacité des partis bourgeois se querellant d’arriver à suffisamment d’accord entre eux et entre leurs diverses fractions internes pour réussir à gouverner effectivement. En plus, le mouvement ouvrier était en retraite, après avoir subi une importante défaite. Un vide du pouvoir s’était créé dans lequel Louis Bonaparte avait sauté, en promettant d’être l’homme fort qui prendrait les choses en main et les mettrait en ordre. Louis Bonaparte promit un programme massif de travaux publics pour développer l’industrie, comme Trump. Il était personnellement corrompu, comme Trump, et il est hors de doute que Trump va graisser sa bourse et celle de ses enfants, comme celle de ses petits copains parmi les capitalistes, comme Louis Bonaparte le fit. Louis Bonaparte avait le soutien de la police – presque toutes les associations de policiers (abusivement appelées syndicats) aux Etats-Unis ont fait campagne pour Trump. Pareillement une grande partie de la caste des officiers des forces armées. Louis Bonaparte avait des liens étroits avec la pègre. Trump et son père étaient des requins de l’immobilier à New York, avec des liens étroits avec le crime organisé, ce qui était d’ailleurs une nécessité pour des promoteurs immobiliers dans cette ville. Aucune analogie historique n’est jamais parfaite, et les Etats-Unis en 2016-2017 ne sont pas la France de 1851. Mais il y a des ressemblances manifestes avec l’ascension du médiocre Trump. Il n’a pas encore pris tout le pouvoir dans ses mains, avec une façade de démocratie bourgeoise, comme l’avait fait Louis Bonaparte et il est possible qu’il ne le fasse jamais. Juste à présent, il ressemble plutôt à l’astucieux manœuvrier qu’était Louis Bonaparte avant son coup d’Etat. Je caractériserais Donald Trump aujourd’hui comme un «aimerait bien» être Louis Bonaparte. Mais sous un rapport la situation aux Etats-Unis est très différente de celle de la France de 1851, ce qui fait d’une présidence autoritaire Trump – c’est ce que nous allons avoir – quelque chose de bien plus dangereux que le régime dictatorial de Louis Bonaparte. C’est tout simplement la puissance des Etats-Unis dans le monde d’aujourd’hui et le pouvoir, économique, policier et politique de la classe capitaliste des Etats-Unis comparé à ces années lointaines en France. Le danger sera encore pire si Trump consolide autour de sa personne une domination ressemblant au bonapartisme. Qu’est ce qui peut l’empêcher de réaliser cette ambition? Louis Bonaparte put chevaucher une vague de boom économique pour toute une période après la découverte de grands gisements miniers d’or en Californie et en Australie. Il commença à perdre des appuis quand cette période de prospérité faiblit. Et il fut renversé quand l’Allemagne mit en déroute ses armées dans la Guerre franco-prussienne de 1870, qui conduisit à la Commune de Paris (1871). Il apparaît aujourd’hui que Trump va hériter d’une économie connaissant une modeste croissance. Dans tous les cas, il va jouir d’une période de «lune de miel» qui lui concédera le bénéfice du doute qu’il peut vraiment améliorer la vie des travailleurs et des travailleuses. Mais étant donné l’expérience de la Grande récession de 2007-2008, les huit dernières années, et la situation de l’économie mondiale aujourd’hui, il est probable qu’il va y avoir une autre crise économique pendant l’administration Trump. En conséquence, les travailleuses et travailleurs qui ont voté pour lui pourront se sentir trahis, ce qui minera le soutien dont il peut disposer. Des secteurs de la classe dominante, exaspérés par ses politiques téméraires, peuvent-ils se retourner contre lui à un certain moment? La classe ouvrière organisée est faible, en taille, en force, et manque de direction, mais on peut espérer qu’elle ne va pas faire confiance aux démocrates mais à sa propre force pour faire obstacle à Trump et aux attaques continuelles des républicains contre les syndicats. Ce ne sera pas facile pour Trump de mettre à exécution les attaques qu’il projette contre deux populations grandes et principalement prolétariennes, les Afro-Américains et les Latinos, qui vont probablement se défendre. Les femmes, les Amérindiens, les écologistes, les défenseurs des libertés civiles, et d’autres, vont résister. C’est sur ces forces que nous devons compter.