L’appel historique de Chavez pour une 5eme Internationale

par Federico Fuentes

2 décembre 2009 – CADTM/Green Left Weekly – S’adressant aux délégués de la Rencontre Internationale des Partis de Gauche qui s’est tenue à Caracas du 19 au 21 novembre (2009), le président vénézuélien Hugo Chavez a déclaré : « il est temps de constituer la 5ème Internationale. » Face à la crise capitaliste et la menace d’une guerre qui représente un danger pour l’avenir de l’humanité, « les peuples réclament » une unité plus forte des partis de gauche et révolutionnaires qui sont prêts à lutter pour le socialisme, a-t-il dit.

A l’instar de son appel de 2005 pour la construction « d’un socialisme du 21ème siècle » et son appel de 2006 pour la création au Venezuela d’un nouveau parti de masse révolutionnaire – le Parti Socialiste Unifié du Venezuela – l’appel de Chavez à l’unité de la gauche et pour une nouvelle internationale est un événement historique.

Il s’appuie sur l’expérience des quatre précédentes « internationales », la première créée par Karl Marx en 1864, qui s’est effondré. La Deuxième Internationale fut créée en 1889, mais s’est disloquée lorsque les partis membres se sont rangés aux côtés de leurs gouvernements respectifs lors du bain de sang de la première Guerre Mondiale. La Troisième Internationale fut fondée au lendemain de la Révolution Russe. Mais, selon Chavez, elle a « dégénéré » sous le Stalinisme et a « trahi » les luttes pour le socialisme à travers le monde. Leon Trotsky a fondé la Quatrième Internationale en 1938. Mais Trosky est mort en 1940 (« fut assassiné » serait plus précis – NDT) et ses successeurs n’ont jamais réussi à construire un mouvement de masse.

Cet appel pour une nouvelle Internationale est historique aussi à cause de l’autorité de Chavez, dirigeant d’un mouvement révolutionnaire qui compte des millions de membres qui luttent pour une société socialiste.

Après l’approbation par une majorité des délégués d’une résolution spéciale en faveur de la fondation de « la 5eme Internationale Socialiste comme un espace où les partis, mouvements et courants à orientation socialiste peuvent coordonner une stratégie commune de lutte contre l’impérialisme et le renversement du capitalisme par le socialisme, » Chavez a réitéré son appel, cette fois en ouverture du 1er Congrès Extraordinaire du Parti Socialiste Unifié du Venezuela, qui a commencé le 21 novembre.

Devant 772 délégués élus par les organisations de base lors d’un processus sans précédent auquel ont participé prés d’un million de membres du parti, il a demandé que sa proposition soit inscrite à l’ordre du jour du Congrès :

« A ce premier congrès extraordinaire du Parti Socialiste Unifié du Venezuela, je demande que soit inscrit à l’ordre du jour la proposition de convoquer les partis politiques et les courants à la création de la 5eme Internationale Socialiste, une nouvelle organisation devant répondre aux défis de notre temps et qui pourrait devenir un instrument d’unification et de coordination des peuples en lutte pour sauver la planète ».

La proposition sera soumise à discussion pendant le Congrès, qui durera jusqu’au mois d’avril 2010, date prévue pour la création de la 5eme Internationale. La discussion « doit s’ouvrir au peuple, aux organisations sociales et autres formes de pouvoir populaire dans le pays, » selon le pan proposé par Chavez.

(…)

Unité face à la contre-offensive impérialiste.

La discussion centrale du premier jour de la Rencontre avec les Partis de Gauche portait sur la nouvelle contre-offensive impérialiste dans la région, illustrée par l’expansion des bases militaires US et la coup d’état au Honduras.

Etaient présents 55 partis politiques de plus de 30 pays, représentés par des représentants de l’ancienne et de la nouvelle gauche, dont certains partis communistes et sociaux-démocrates d’Asie et d’Europe, des mouvements de libération nationale d’Afrique et du Moyen-orient, de nouveaux partis politiques tels que Die Linke (Allemagne), Bloc de Gauche (Portugal), Parti de Gauche (France) et des forces radicales et de gauche de l’Amérique latine, certains plus anciens, comme le FSLN (Front Sandiniste de Libération Nationale) et certains plus récents, comme le Mouvement vers le Socialisme (Bolivie) et, bien entendu, le PSUV.

Pratiquement toutes les tentatives pour créer un nouveau modèle de société au 20eme siècle ont été détruites par l’impérialisme, a expliqué Nicolas Maduro, dirigeant du PSUV et Ministre des affaires étrangères du Venezuela. « Il n’y a eu qu’une seule expérience qui a eu la force politique, militaire et populaire, ainsi qu’une direction révolutionnaire, qui a réussi à déjouer les plans de l’impérialisme : la Révolution Cubaine. »

A la fin du siècle, de nouveaux mouvements révolutionnaires et de nouveaux dirigeants ont émergé pour changer la face de la région. L’élection de Barack Obama a soulevé de nombreux espoirs auprès de vastes secteurs de la population qui espéraient que de nouvelles relations avec les Etats-Unis, basées sur le dialogue, seraient possibles. Mais les illusions ont été rapidement brisées par les initiatives de la nouvelle administration, a dit Maduro.

L’Alliance Bolivarienne, ALBA – « un projet solide d’intégration et d’union de nos pays et de nos peuples » - a progressé cette année, avec l’arrivée de l’Equateur et plusieurs pays Caribéens ; cependant, le premier coup de l’impérialisme fut porté contre le Honduras le 28 juin par un coup d’état militaire. Le coup d’état visait l’ALBA et fut réalisé avec le soutien des Etats-Unis, a-t-il dit.

Peu après, la nouvelle est tombée : l’accord militaire entre les Etats-Unis et la Colombie et la concession de sept nouvelles bases militaires aux Etats-Unis, « une menace sérieuse contres les mouvements révolutionnaires de notre continent, » a ajouté Maduro.

Selon ce scénario, l’unité des forces progressistes et de gauche est nécessaire afin de créer un mouvement de paix et de justice dans la région ayant la capacité de convertir le continent en une « territoire libre de bases US », a-t-il dit.

Jorge Marti, responsable du secteur des relations internationales du Parti Communiste de Cuba, a souligné qu’actuellement, « la gauche n’est pas à la hauteur des défis auxquels elle est confrontée », raison pour laquelle il est nécessaire de tracer une stratégie claire pour une unité dans la lutte.

Alors qu’il est tout à fait possible que les forces de droite remportent les prochaines élections au Chili et au Brésil, Nidia Diaz, du Front Farabundo Marti de Libération Nationale (FMLN) du Salvador a souligné que « si nous ne pensons qu’aux échéances électorales en oubliant l’accumulation des forces sociales en faveur du changement, il est facile de brosser un tableau pessimiste. » Il est essentiel que la gauche promeuve la proposition de Chavez de créer les bases pour la paix et un point de convergence pour les actions et la mobilisation de nos peuples, a-t-elle ajouté.

« Nous ne sommes que les porte-paroles de nos peuples qui résistent, » a expliqué le Ministre des Affaires étrangères du Honduras, Patricia Rodas. Notre responsabilité est de construire un espace commun pour rassembler les partis et consolider l’union des nos peuples, « et permettre la création d’une force diversifiée inconnue jusqu’à présent » parce qu’ils veulent détruire « cette même démocratie pour laquelle nous avons déposé les armes, » a-t-elle dit.

En concluant les contributions de la journée, le dirigeant du PSUV et ministre de l’éducation Hector Navarro a affirmé que « le problème n’était pas les bases militaires, le problème était la crise structurelle du capital... nous sommes confrontés à la question de la survie de l’humanité. » Ainsi, cette réunion, qui a rassemblé quelques unes des forces de gauche les plus importantes au monde, doit être vue comme le théatre des opérations à partir de laquelle a été déclenchée la lutte pour la défense de l’humanité, a-t-il dit.

Une internationale socialiste pour le 21eme siècle

La deuxième journée a commencé par une discussion sur la nature de la coordination.

Valtar Pomar, secrétaire des relations internationale du Parti du Travail (PT) du Brésil a présenté les vues de son parti, en mettant en avant une stratégie centrée sur l’unité régionale et l’intégration, ou en termes plus classiques « anti-impérialistes ». Si nous faisons du socialisme le plus petit dénominateur commun de notre unité, cela aboutira inévitablement à des divisions ; pour cette raison, a dit Pomar, le PT continuera à privilégier le Forum de Sao Paolo (FSP).

Atristobulo Istaruez, un des vice-présidents du PSUV, a répondu que la gauche avait besoin d’espaces plus dynamiques et actifs que le FSP.

Le FSP a été crée au début des années 90 à l’initiative du PT pour rassembler la gauche latino américaine dans le contexte de l’effondrement de l’Union Soviétique. Aujourd’hui, le Forum, comme le PT, a dérivé loin de ses racines radicales pour devenir une tribune de discussions dominée par les forces réformistes.

Alors que des différences ont commencé à faire jour, ce sont les interventions de Chavez cette nuit-là qui ont tracé la ligne de partage. « L’impérialisme yankee se prépare à la guerre en Amérique latine... preque toujours, les Etats-Unis se sortent d’une situation de crise par la guerre, » a-t-il prévenu.

Dans le même temps, les conditions d’une construction du socialisme sont favorables, a-t-il dit. « C’est pourquoi je vous demande... que vous m’autorisiez à aller de l’avant, avec ceux qui veulent m’accompagner, dans la création de la 5eme Internationale. »

Une nouvelle Internationale sans manuel et sans obligations, a expliqué Chavez, où les différences seront les bienvenues.

Il a sévèrement critiqué l’exemple du Parti Communiste de l’Union Soviétique qui a imposé ses dogmes tels que « le socialisme dans un seul pays » sur ses partis satellites à travers le monde. Ce qui a fait que de nombreux partis communistes en Amérique latine ont tourné le dos à Che Guevara à cause de son rejet du dogmatisme soviétique, a dit Chavez.

Par opposition au échecs du « socialisme réel » et de la social-démocratie, a-t-il dit, une nouvelle internationale devrait représenter l’esprit et l’héritage collectif laissé à l’humanité par les fondateurs des quatre premières internationales, Karl Marx, Frederich Engels, Clara Zetkin, Rosa Luxembourg, Jose Carlos Mariategui, et Leon Trotsky.

Elle devrait aussi incorporer les idées des radicaux latino-américains et des libérateurs tels que Simon Bolivar, Francisco Morazan, Maurice Bishop et Sandino, a-t-il ajouté.

Un nouveau projet de coordination de la gauche doit se faire au sein d’une internationale pour affronter l’impérialisme, battre l’impérialisme, et lutter pour le socialisme du 21eme siècle. Il est nécessaire de travailler ensemble à l’élaboration d’un manifeste afin de créer l’unité autour du socialisme du 21eme siècle, a-t-il poursuivi.

A la remarque d’un délégué qui a dit qu’il existait déjà d’autres organisations de coordination des partis politiques, la réponse de Chavez fut rapide et cinglante : il existe de nombreux espaces de discussion, mais aucune pour des actions concrètes, raison pour laquelle beaucoup ont cessé d’exister.

« Nous avons perdu beaucoup de temps, nous continuons à en prendre, à chercher des excuses à notre inaction. Je considère qu’un tel comportement constitue une trahison envers les espoirs de nos peuples. » Nous avons besoin de l’unité des partis de gauche, « mais des partis qui sont véritablement de gauche ».

« Il nous incombe d’assumer le rôle d’avant-garde »

Alors que le lendemain divers partis ont exprimé leurs réserves, en arguant qu’il n’était pas possible d’arriver à un accord dans le cadre d’une telle rencontre et qu’il fallait un débat profond sur le programme avant de pouvoir réaliser une unité, les réactions en faveur d’une telle proposition était majoritaires.

« Nous ne pouvons continuer à simplement débattre... il nous faut définir clairement ce que que nous voulons, et le projet alternatif pour l’Amérique latine, c’est le socialisme, » a affirmé Salvador Sanchez Ceren, dirigeant du FMLN et vice-président du Salvador, qui s’exprimait en faveur de la proposition.

Le commentaire de Sanchez a provoqué une réaction du président Salvadorien Mauricio Funes, un indépendant qui a été élu sous l’étiquette du FMLN, et qui s’est distancé ainsi que son gouvernement de tout soutien au socialisme du 21eme siècle.

Les membres de la délégation bolivarienne du Mouvement Vers le Socialisme ont informé les participants de la rencontre qu’ils avaient appelé la direction nationale du parti, ainsi que le président Evo Morales, et que tous étaient d’accord pour se joindre au projet et participer activement aux commissions préparatoires pour un congrès fondateur.

Le dirigeant de l’Alliance Paysanne ( ? – NdT) et Ministre équatorien Ricardo Patino a annoncé aussi que son parti avait décidé d’y participer.

Promettant le soutien actif de la « résistance » hondurienne, Rodas a ajouté sa voix en soutien à la proposition.

Ainsi, les dirigeants actuels des plus importants mouvements pour le changement – auxquels il faut ajouter le Parti Communiste de Cuba qui n’a pas exprimé une position formelle lors de cette réunion – ont annoncé leur volonté d’oeuvrer à l’organisation d’une coordination internationale.

Avec la résolution spéciale de créer un « groupe composé de partis socialistes, de courants et de mouvements sociaux qui soutiennent l’initiative, pour préparer un programme qui définira les objectifs, le contenu et les mécanismes de cette entité révolutionnaire globale, » un document intitulé l’Engagement de Caracas a aussi été approuvé.

Le document affirme que, face à la « crise structurelle du capital, qui combine une crise économique, une crise écologique, une crise alimentaire et une crise énergétique, qui ensemble représentent une menace pour l’humanité et la terre mère » la seule alternative possible était « le socialisme du 21eme siècle ».

En tirant encore une fois les leçons des quatre premières internationales, Chavez a remarqué,, cette fois-ci devant le congrés du PSUV, que toutes ces internationales étaient nées en Europe, « où la théorie du socialisme scientifique a surgi avec force au coeur des grandes luttes populaires et ouvrières, et la domination de la bourgeoisie. »

Cependant, aujourd’hui, « l’épicentre de la lutte révolutionnaire se situe dans notre Amérique (nuestra America). Et le Venezuela est au centre de cette bataille. Il nous incombe d’endosser le rôle d’avant-garde et nous devons l’assumer, afin de prendre conscience des énormes responsabilités qui pèsent sur nous. »

[Federico Fuentes, avec Kiraz Janicke, a participé à la Rencontre Internationale des Partis de Gauche en tant que représentants de l’Alliance Socialiste. Traduction VD pour le Grand Soir.]

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